Mon grand-père Trotski

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April 11th, 2012

MON GRAND-PÈRE TROTSKI
11 avril 2012, Tel Aviv, Bat Kama At s’apprête à rencontrer Sonia (Sarah) Toor.

L’une de mes jeunes filles née en 1920, et que je dois interviewer Dimanche, Sonia (Sarah) Toor, me rappelle très troublée.
Après s’être assurée que le père de ma mère se nommait bien Borekh Portnoi et que la famille vivait en face du cimetière de Telz, elle me dit : « Je me souviens parfaitement de cette famille. C’était une maisonnée très pauvre et pleine de petites filles (il y avait à la veille de la guerre 7 filles et un garçon). Ton grand-père, sais-tu comment on l’appelait à Telz ? ».
Je reste interdite, hésitant entre plusieurs souvenirs et autant d’émotions. Rosa Portnoi, qui était intarrissable sur son lycée Yavne de Telz, ne s’épanchait pas sur sa famille, et savait peu de chose sur l’histoire de son père, qui était un orphelin, originaire de Pinsk, et avait deux frères dont l’un avait émigré aux Etats-Unis au début du siècle et l’autre vivait à Ber-Sheva.
« Ton grand-père – dayn zeyde – poursuit-elle, était connu sous le nom de Trotski parce qu’il était éloquent, élégant et professait avec conviction des opinions de gauche. »
Baruch Portnoi avait travaillé aux chemins de fer (Pinsk faisait partie de l’Empire tsariste), et semblait avec sa vareuse et son képi portant un insigne sortir d’un film d’Eisenstein.

La guerre dite soviéto-polonaise et son cortège de pogromes, qui avait fait rage jusqu’en Biélorussie en 1919 et 1920 avait-elle dévoré sa famille ? Rosa parlait d’un oncle, un jeune étudiant de yeshiva, qui avait été fusillé par les soviétiques sous l’accusation d’espionnage. Les Juifs – qui n’avaient pas un goût inné pour la guerre, même révolutionnaire, et lui préférait l’étude – avaient souvent fait les frais de telles violences.
Rien n’indique quand Barukh a quitté Pinsk. En 1921, Rosa, la première-née de huit enfants, voit le jour à Telsiai (Telz)
La santé de Barukh n’était guère brillante et c’est, paraît-il, pour cela qu’il abandonna les chemins de fer pour devenir un bal-hagole, un conducteur de charette, qui ne transportait pas de marchandises mais conduisait les clients à la gare ou sur de courtes distances.
Sonia ne pouvait oublier la pauvreté dans laquelle elle avait trouvé cette famille, dans la maison située en face du cimetière de Telz et à une faible distance du premier emplacement de l’école Yavne. Une image est restée gravée dans sa mémoire et c’est cette image surtout qui l’avait poussée à me rappeler et qu’elle ne pouvait garder pour elle jusqu’à dimanche. Un jour d’hiver, par un froid mordant, elle se rend dans la maison avec Rosa Portnoi et voit qu’une vitre brisée n’a pas pu être remplacée et qu’elle est colmatée par un coussin qu’on a fixé là pour atténuer le froid.
C’est vers cette époque peut-être qu’a été prise cette photo de famille. Pour quelle occasion, je ne sais, mais on y voit la mère de Rosa portant son cinquième enfant, et les petites filles au regard un peu perdu dans leurs robes parfois trop grandes, et Nekhemie, le petit dernier assis sagement. Les yeux de Barukh fixent sereinement l’appareil.

Dans son costume trois-pièces bien coupé, il pense peut-être à l’avenir de ses filles. C’est lui qui encouragea sa première et celles qui suivirent à acquérir une solide éducation. Rosa, quant à elle, désirait fréquenter le Gymnasium Yavne après l’école élémentaire, et suivre les cours réputés de son directeur, le Dr. Rafael Holsberg-Etsyon, mais l’année même où elle intégra le lycée, à la rentrée scolaire de 1933, celui-ci se mit en route pour la Palestine. Barukh avait l’habitude d’aider sa fille dans les matières scientifiques et de la gratifier d’une pièce de monnaie pour chaque bonne note.
Rosa parlait de son père comme d’un homme pieux, mais sans doute a-t-elle effacé de sa mémoire les tensions qu’elle a dû ressentir entre sa très religieuse éducation au lycée Yavne de Telz et ce père aux idées de gauche très arrêtées et hautement revendiquées. La Lituanie indépendante qui glissait lentement vers un régime autoritaire sous la présidence de Smetana laissait encore une petite place et la vie sauve à ce supposé émule de Trotski.

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