Reyzel Berkman

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March 13th, 2014

Reyzel Berkman : Un carnet écrit avec son sang

Reyzele Berkman, aujourd hui Shoshana Privalski, avait fait état au téléphone de ses craintes par rapport à Internet, ce nouveau media inconnu. Elle ignorait que ses documents scolaires et ceux de sa sœur Bat Sheva figuraient déjà sur ce site.
Lors de notre rencontre, le 17 avril, elle reçut donc la copie de ces trois documents qu’elle examina avec une certaine émotion et aussi quelques commentaires teintés d’humour sur les notes obtenues à mi parcours figurant sur le diplôme de la 4e année délivré par le lycée Yavne. « A sheyne meydele bin ikh geven », finit-elle par conclure – j’étais une jolie petite fille.
Un simple bulletin d’école primaire concerne sa sœur Bat Sheva, dite aussi Bebele, reconnue par plusieurs témoins sur des photographies de classe, et dont le nom m’était familier depuis le début de cette enquête. La fille de Reyzele, Dvoyre, se joint rapidement à nous ainsi que sa petite fille Bat-Sheva, nommée d’après sa sœur.

Sa fille me confie qu’elle veut se rendre depuis longtemps à Telsiai, sur les traces de sa famille, et s’enthousiasme pour le travail accompli par ce projet.
Officiellement Reyzl est née en 1924, mais elle s’était rajeunie de 2 ans pour pouvoir entrer au lycée. Son père était shoykhet, abatteur rituel.
Si elle peut reconnaître de nombreux visages, en revanche peu de noms lui reviennent. C’est du reste compréhensible car je lui présente des photographies de classes dont les jeunes filles sont plus âgées qu’elle.
Elle me montre le livre qu’elle a publié en Israël. D’abord nous le feuilletons et elle commente quelques-unes des photographies. La qualité de la reproduction étant très médiocre, on voit mal les visages des jeunes filles qu’elle me montre et je ne mesure pas le caractère réel de ce livre, l’origine de ces mémoires.
Sur une de mes photos, elle rectifie l’identification d’une des jeunes filles, il s’agit d’une des filles Merkin et non de Myriam Bloch. Elle est formelle. Sur une autre de mes photographies, elle reconnaît (en bas 5e au milieu) Rasia Taitz (Tayts). Sur la même photo (en haut 1ère à droite), elle identifie également la 3e des filles Merkin.
Au milieu de la photo se tient un professeur de latin. Elle affirme que l’un deux aurait assassiné des filles juives pendant les tueries, et que celles-ci auraient crié : « Professeur …., pourquoi tirez-vous sur nous ? ». Elle n’est pas sûre du nom de cet homme.
Outre cet épisode déchirant, le caractère crucial du livre de Shoshana se dévoile peu à peu. Elle décrit l’épuisement de sa sœur au moment où elles se décident à fuir le ghetto. Elles ont été prévenues de la liquidation des jeunes filles sous peu. Au moment de gravir la barrière qui approche les deux mètres de hauteur, le sentiment d’abandon gagne tantôt l’une, tantôt l’autre. Elles s’exhortent mutuellement et chacune est tentée de s’effondrer dans la neige et de se laisser mourir plutôt que de fuir en plein décembre.
Durant leur fuite, Shoshana, plus brune, plus juive d’apparence, prend la décision de se séparer de Bat-Sheva, de complexion plus claire, qui peut passer plus aisément pour non-juive. Comment elles on pu s’en tirer pendant toute la durée de la guerre, elle ne le comprend toujours pas. Elle me parle d’une famille Rabinovitch dont tous les membres ont été massacrés dans leur maison.
Enfin Shoshana fait sortir à sa fille Dvoyre d’une grande boîte en carton argentée un manuscrit de grand format 21 par 24, relié dans le sens de la largeur. Il me faut encore un temps pour comprendre. Enfin Shoshana fait amener à sa fille un petit sac à main. Celui-ci contient une petite pochette qui ne la quitte jamais, comme celle où Rosa Portnoi conservait ses trois photos de classe, au fond de son sac.
De la pochette, elle tire un tout petit manuscrit, relié il y a bien longtemps lui aussi dans le sens de la largeur. C’est l’original de la copie en grand format et du livre.

L’écriture est régulière et serrée, soignée, hâtive et parfois délavée et reprise. Le papier manquant, les lettres et les mots se resserrent de plus en plus.

 

 

 

 

 

 

Le journal, me dit-elle, a été rédigé chez la femme lituanienne qui l’a protégée pendant toute la guerre, cachée, nourrie, habillée et traitée comme sa propre fille, au risque de sa vie. Afin de contribuer à son entretien, Reyzl/Shoshana travaillait au métier à tisser.
Lorsqu’elle n’avait plus d’encre pour écrire son journal, elle utilisait parfois la teinture qui servait à colorer les étoffes (du lin probablement. Parfois, à cours d’encre ou de teinture, elle se piquait les doigts et écrivait avec son sang. Elle me montre ainsi des passages écrits au sang qui se sont estompés. Son journal rapporte, au jour le jour, les quatre années de persécution et de peur vécues sous la protection de cette femme chrétienne.
Après la guerre, lorsque Shoshana lui envoyait des colis d’Israël, la femme l’implorait de ne pas priver ses propres enfants pour elle.

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