Apprendre d'elles

   
Documenter les derniers mois de l'existence des 500 jeunes filles et femmes de Telz, derniers témoins de la vie de leur communauté exige un effort particulier pour retrouver des témoignages qui auraient pu échapper aux éditeurs du livre de la mémoire de Telz, le Sefer Telz, au moment où celui-ci a été établi. Si l'effort qui a été fait par les survivants était tout à fait conséquent, nous disposons aujourd'hui, avec internet, d'un moyen de recherche et de communication qui élargit considérablement le spectre de la recherche. Il y a plus de vingt ans, l'idée de rappeler l'existence de chaque individu était certes déjà présente, mais l'effort collectif dans ce sens n'avait pas encore pris forme dans les différentes communautés qui oeuvraient au travail historique, mémorial et généalogique.La première étape passe nécessairement par l'établissement d'une liste de noms. Le Sefer Telz, livre de la mémoire rassemblé par les survivants de Telz et de ses environs ne livre pas la liste de ces victimes, même si l'on trouve au fil des témoignages, en hébreu et en yiddish, un certain nombre de noms. Une partie des noms figure également à Yad Vashem mais à l'image de toutes les listes de victimes de la Shoah, elle est incomplète.
Nous nous attacherons sur ce site à fournir une liste aussi exhaustive que possible des 500 jeunes filles et femmes de Telz.
Une nouvelle investigation est plus que jamais nécessaire afin d'établir une liste la plus exhaustive possible de ces noms, mais aussi pour réaliser la collecte d'informations, de documents et de témoignages qui doit conduire à l'élaboration de portraits individuels des cinq cents victimes appartenant à ce groupe. À travers ce groupe, cette oeuvre mémorielle entend rendre hommage à la population juive de Telz dans son ensemble. Des vies qui jettent une lumière sur Telz Il s'agit en rendant compte de la recherche de jeter un nouvel éclairage sur des aspects méconnus de la vie des Juifs en Lituanie. Nos premières recherches sur le contexte de l'assassinat des cinq cents jeunes filles et femmes âgées de 14 à 30 ans, à Telz, la nuit de Noël 1941, mettent tout d'abord en évidence l'atmosphère très particulière d'une ville dont le rayonnement avaient surtout été l'orgueil des Juifs observants, orthodoxes ou non. Or, la lecture attentive du livre de la mémoire de Telz, le Sefer Telz, fait apparaître des aspects intellectuels et spirituels, dans la vie religieuse de la bourgade, qui perturbent les lignes de fracture classiques entre religieux et anti-religieux. Le récit familial de cette tragédie a toujours insisté sur la spiritualité d'une bourgade juive dont toute l'énergie, quand elle n'était pas consacrée à la lutte pour l'existence, était consacrée à l'étude. Le nom de Telz – cette bourgade était, à l'égard de l'éducation, une ville – reste associé dans le monde juif à la renommée internationale de sa Yeshivah, le séminaire rabbinique. Et si le prestige de son lycée de filles, le Gymnasium Yavne, dépassait les frontières de la seule Lituanie, sa mémoire ne subsiste aujourd'hui que dans les souvenirs des derniers témoins. La ville se distinguait non seulement par le nombre et la variété de ses institutions religieuses, mais aussi par la qualité et la modernité de son enseignement. Les parcours de ces cinq cents jeunes filles et ce que l'on sait d'elles jusqu'à leur fin tragique, constituent une source très riche pour une connaissance toujours insuffisante de la société juive de Telz - à la fois représentative de la vie juive en Lituanie et très spécifique par de nombreux traits. Ce qui frappe – les témoignages du Sefer Telz vont tous dans ce sens – c'est le caractère pariculièrement avancé de la pédagogie déployée par les milieux orthodoxes (musar* ; agudat israël) en direction de leurs filles, et le très haut niveau éducationnel d'une série d'institutions qui envahissent littéralement ce shtetl de 7 à 8 000 habitants dont une bonne moitié de Juifs et qui en font un phare moral et spirituel. De nombreux témoignages insistent sur la place des femmes et des jeunes filles éduquées dans la chaîne de la transmission et insistent sur le rôle éminent joué par le lycée de fille Yavne, d'obédience Agudat Israël (religieux), mais se développant largement sous l'influence du mouvement spirituel du Musar. Dans ce lycée, l'enseignement de toutes les disciplines hormis le lituanien (histoire, géographie, mathématiques, sciences naturelles) avait lieu en hébreu. Les jeunes filles qui se promenaient dans la ville en conversant en hébreu entre elles faisaient la fierté de sa population juive. L'enseignement des langues y était renforcé et une importance particulière y était accordée aux matières scientifiques. Ces aspects nous sont mieux connus depuis que nous avons eu accès au fonds 1382 des ARCHIVES CENTRALES NATIONALES DE LITUANIE comportant des centaines de documents relatifs aux jeunes filles de Telz. Loin d'être confinée aux matières religieuses, l'éducation s'étendait également au sport et aux sciences naturelles. La langue lituanienne, le latin et l'allemand (Telz se situe à une soixantaine de kilomètres de la Prusse orientale) faisaient également partie du cursus. Le latin a remplacé l'anglais en 1933. La décence, les manières, le savoir-vivre occupent une place prépondérante dans les témoignages des femmes survivantes de Telz. Le sentiment de dignité que la généralisation de l'éducation insufflait aux filles et aux femmes dépassait de beaucoup ce que l'orthodoxie religieuse avait coutume d'exiger en la matière. Tous ces facteurs éducationnels ont forcément tenu une place non négligeable au moment où les jeunes filles et les jeunes femmes, arrachées à leur mère, leurs frères et soeurs plus jeunes, ont été poussées vers le ghetto improvisé sur le bord du lac et contraintes à s'y installer dans des conditions précaires. Si de nombreuses études ont récemment fait connaître le rôle majeur joué par les mouvements politiques ou religieux dans l'organisation de la résistance juive des camps de concentration, peu a été écrit sur l'état d'esprit et les initiatives des populations persécutées et exterminées sur place en Lituanie et dans les pays baltes. * Le mouvement du Mussar