[gallery]

La fragilité des traces du passé

La mère de l'auteur ne parlait pas souvent de l'extermination de ses amies d'enfance et d'adolescence, de ses camarades de classe et de ses voisines de Telz. En revanche, ce petit récit revenait comme un leitmotiv. Elle avait une douzaine d'années quand, élève du lycée Yavné de Telz où l'enseignement se déroulait entièrement en hébreu, elle écrivit une rédaction s'ouvrant sur ces mots : “binéouraï” (dans ma jeunesse). Le jour où le directeur de l'école pénétra dans la classe pour distribuer les devoirs, il fit lever Rosa Portnoï, et lui demanda gentiment : “bat kama at ?” (quel âge as-tu ?). Aujourd'hui que la mémoire de Rosa s'estompe, ce petit récit revient poser une question lancinante.

De retour en Lituanie en 1992, elle refusa obstinément de se rendre à Telz où seuls les fantômes l'auraient accueillie. De ce passé Rosa a sauvé trois photographies de classe où apparaissent quelques-uns des visages de ses camarades et de ses professeurs. Dotée d'une excellente mémoire, elle se souvenait du nom de tous ses professeurs, de quelques noms de ses camarades de classe et de nombreux détails sur l'enseignement. Ces photographies font partie des rares trésors emportés dans son cartable d'écolière lorsqu'elle a fui Telz. Elles ont été arrachées au passé avec deux tasses et une théière d'une minuscule miniature de faïence.

Il a fallu un certain temps après avoir recueilli le témoignage de Mr Génys, dernier survivant juif de Telz, en juillet 2000  - voir le film - pour prendre conscience qu'une partie des cinq cents jeunes filles se trouvait bien là, devant les yeux de l'auteur, sur ces photographies contemplées depuis sa plus tendre enfance.

D'après l'apparence de sa mère, les trois photographies non datées pouvaient avoir été prises entre 1929 et 1935. C'est grâce à huit clichés pris le même jour, retrouvés en 2008 dans la collection de Tuvie Bal Shem, l'un des rédacteurs du Sefer Telz,le livre de la mémoire de cette ville, qu'il a été possible de dater la première d'entre elles en 1931. Sur les deux suivantes, il n'est pas toujours facile de deviner si telle jeune fille de 13 ou 14 ans est l'enfant vue sur une photo plus ancienne. 

Suite : Le coeur du projet bat kama at ?